jeudi 30 juin 2011

La liberté de la B.D.

On dit parfois que la bande dessinée a ceci de supérieur aux films (en termes d'histoires racontées en images) que ses effets spéciaux ne coûtent vraiment pas cher. Je ne suis pas convaincu que cet argument soit encore très pertinent en cette époque où les ordinateurs sont omniprésents et permettent à n'importe qui de produire des effets visuels convaincants dans son sous-sol, en dix minutes, avec rien de plus qu'un écran vert. Mais tout cela n'est qu'une comparaison entre outils, et puisque la production de B.D. et de films relève souvent de modes de financement totalement différents, la comparaison est un peu académique en bout du compte.

Ceci dit, la B.D. nous permet bien entendu de faire un tas de choses, qu'on parle de sujets, des techniques utilisées, des approches narratives ou du style utilisé. Elle ne demande qu'un crayon et du papier, et est beaucoup plus protéiforme que la plupart des autres façons de raconter une histoire. Il est possible, par exemple, de n'utiliser qu'une seule image répétée, en changeant le contenu des bulles, pour obtenir un excellent récit. Certains créateurs utilisent même cette technique de façon régulière.

La B.D. est également géniale en ce que sitôt que vous avez quelque chose à dire, rien ne vous empêche de la pratiquer... même sans savoir dessiner. Une de mes B.D. préférées est réalisée en n'utilisant que des bonshommes allumettes. Comparons ce cas d'intelligence servie par un graphisme très épuré aux productions hollywoodiennes où des images de synthèse coûtant des millions de dollars servent un scénario alambiqué conçu par un comité et dont la vacuité n'a d'égale que l'évidente intention de faire vendre des produits dérivés.

À l'autre extrémité du spectre, il est tout aussi facile (même si ça demande pas mal plus de temps) de remplir chaque millimètre carré de la page de détails qui époustouffleront le lecteur, comme c'est le cas avec les oeuvres de Jean-Claude Gal ou de Philippe Druillet.





En d'autres termes, la liberté conférée par la B.D. est une grande part de ce qui rend cet art du récit différent des autres.

Pour en revenir à notre analogie cinématographique, il est très facile pour le bédéiste/producteur, si le coeur lui en dit, de dessiner une scène rurale sans avoir à déplacer toute une équipe de tournage dans un décor approprié. Et contrairement à ce qui serait possible dans une histoire en prose, vous pouvez incorporer tous les détails que vous voulez dans votre scène sans ralentir indûment le rhytme du récit. (Je ne jette pas la pierre à la prose, ici, qui repose sur l'imagination du lecteur plus que sur les descriptions exactes qui n'en finissent pas; je ne fais que souligner une possibilité offerte par l'aspect graphique de la B.D.)




La grammaire de la B.D. est également très dynamique et se partage facilement; pas besoin de nouveaux équipements pour créer, par exemple, une page d'ouverture à la Will Eisner, un bouillonnement d'énergie à la Jack Kirby ou un décor classique à la E. P. Jacobs. (Pouvez-vous identifier les vignes de Barry Windsor-Smith ou les sapins à la Gerhardt dans les images c-dessus?)

La syntaxe graphique de la B.D. est remarquablement adaptable et changeante. Je suppose qu'on peut en dire autant de celle du cinéma, du théâtre ou de l'opéra, mais le spectre des formes de B.D. qu'on retrouve sur le marché me semble bien plus large que celui des films... peut-être parce qu'il est ien plus simple, économiquement parlant, de produire une B.D. d'un style non-conventionnel et donc moins commercial que ce n'est le cas pour une production cinématographique? Des oeuvres comme Memento, the Blair witch project ou Dogville attirent d'abord l'attention parce qu'elles sont peu communes; mais des B.D. comme Riel, Maus, XKCD, Le Testament ou Le Chat du Rabbin attirent l'attention parce qu'elles sont brillantes, d'abord et avant tout. Elles s'intègrent cependant très bien, malgré leur grande diversité en termes de techniques, dans le spectre de ce qui existe en bande dessinée.

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